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Idrissa Ousmane Nahantchi, Directeur du Patrimoine Culturel : « Le Patrimoine Culturel Immatériel contribue au développement durable d'une région à travers ses dimensions sociale, environnementale et économique…»
2025-03-03 ICCSD

Musical Culture et Technologie : Le paradis indonésien applique un nouveau paradigme dans le développement durable_fororder_1

Monsieur le directeur, quelles sont les di!érentes catégories de patrimoine culturel dont dispose le Niger et quelles sont leurs caractéristiques ou spécificités ?

D'une manière générale, nous avons deux types de patrimoine culturel. Il s'agit du patrimoine culturel matériel et du patrimoine culturel immatériel. S'agissant du patrimoine culturel dit « matériel », il est constitué des paysages construits, de l'architecture et de l'urbanisme, des sites archéologiques et géologiques, de certains aménagements de l'espace agricole ou forestier, d'objets d'art et mobiliers, du patrimoine industriel (outils, instruments, machines, bâtis, etc.)

Au Niger, la liste indicative nationale spécifie le patrimoine culturel matériel en trois catégories, notamment les biens culturels, les biens naturels, et les biens mixtes.

S'agissant du patrimoine culturel dit « immatériel », il se manifeste dans les domaines suivants : les traditions et expressions orales, y compris la langue comme vecteur du patrimoine culturel immatériel ; les arts du spectacle ; les pratiques sociales, rituels et événements festifs ; les connaissances et pratiques. Nous avons aussi la liste indicative du patrimoine culturel immatériel qui tient compte des cinq (5) domaines dans lesquels il se manifeste.

Comment le patrimoine culturel contribue-t-il à l'identité d'une communauté ou d'un pays ?

La culture est définie comme étant « l'ensemble des pratiques productives, valeurs sociales, actions, comportements, attitudes et schémas idéologiques en même temps que l'ensemble des réalisations et institutions sociales, par lesquels un peuple donné assure son existence, organise sa vie et témoigne de son identité ». Le patrimoine culturel contribue à l'identité d'une communauté ou d'un pays à travers cinq raisons fondamentales : le patrimoine culturel facilite la transmission de notre histoire ; le patrimoine crée des occasions de partage et rassemble les citoyens ; le patrimoine est un formidable levier de développement et d'attractivité ; le patrimoine préserve et crée des emplois ; le patrimoine participe positivement à la transmission écologique et à la préservation de notre environnement.

Quelles sont les procédures pour statuer qu'un objet, un élément relève du patrimoine culturel du Niger ?

Il faut d'abord réaliser un inventaire qui permettra de faire figurer le bien (patrimoine culturel matériel) ou l'élément (patrimoine culturel immatériel) et les données y a"érentes sur la liste d'inventaire. Ensuite, un projet de décret accompagné d'une présentation succincte du bien ou de l'élément est soumis par la Direction du Patrimoine Culturel ou le service compétent au Ministre en charge de la Culture.

Aussi, le Ministre en charge de la Culture consulte le Conseil National de Protection, de Conservation et de Mise en valeur du Patrimoine Culturel national conformément à l'article 23 de la Loi 97-022 relative à la protection, la conservation et la mise en valeur du patrimoine culturel national en vue d'évaluer la nécessité d'inscrire ou non le bien ou l'élément, objet du projet de décret.

Une fois que le Conseil valide le projet de décret conformément aux réglementations en vigueur sur le plan national, le Ministre présente ledit projet en Conseil des Ministres, instance habilitée à statuer sur l'inscription ou non du bien ou de l'élément au patrimoine culturel national. Enfin, la liste indicative fera l'objet d'actualisation en vue de prendre en compte les nouveaux biens ou éléments inscrits.

Monsieur le directeur, quelles sont les mesures prévues et les actions mises en œuvre pour protéger, conserver le patrimoine culturel mais aussi pour lutter contre le trafic des biens culturels au Niger ?

En termes de mesures prévues, nous avons la Déclaration de Politique Culturelle nationale portant Loi d'orientation relative à la culture de 2009 qui accorde une place de choix à la protection du patrimoine culturel, la Loi N°97-022 du 30 juin 1997 relative à la Protection, la Conservation et la Mise en valeur du Patrimoine Culturel National qui est en révision en vue de prendre en compte le patrimoine culturel immatériel.

Aussi, le Niger a également adhéré et/ou ratifié les Conventions de l'Organisation des Nations Unies pour les Sciences, l'Education et la Culture (UNESCO), notamment la Convention pour la Protection du patrimoine mondial, culturel et naturel (1972), la Convention pour la Sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (2003), la Convention pour la Protection et la Promotion de la diversité des expressions culturelles (2005), la Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriétés illicites des biens culturels (1970), la Convention de la Haye de 1954 pour la Protection des biens culturels en cas de conflit armé et ses deux protocoles (de 1954 et de 1999), la Convention sur la diversité Biologique (1992), la Convention RAMSAR relative aux zones humides d'importance internationale (1971). Ces conventions permettent de combler certaines lacunes au niveau national et permettent une collaboration plus e"ective avec les Etats parties membres de l'UNESCO dans la gestion du patrimoine culturel. Afin de contribuer à la lutte contre le Trafic Illicite des biens culturels, les agents de Police et des douanes mais aussi les professionnels du patrimoine du Niger avaient participé à la formation en ligne, en juin 2020, organisée par le Bureau Régional UNESCO à Dakar. Faisant suite à cette formation, la Direction du Patrimoine Culturel en collaboration avec le Bureau Régional UNESCO à Dakar, a mis en œuvre le Programme de renforcement des dispositifs de lutte contre le trafic illicite de biens culturels au Niger en 2021. Ce programme a permis la création d'une synergie d'action avec l'O#ce Central de Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants (OCRTIS). L'OCRTIS a enregistré deux importantes saisies d'objets et fragments archéologiques en août et septembre 2021.

Quelle est l'importance de la transmission dans la conservation du patrimoine et quels sont aujourd'hui les défis majeurs auxquels vous êtes confrontés dans ce travail?

Ça permet de conserver la pérennisation de la pratique des éléments du Patrimoine Culturel Immatériel (fête, rites, traditions populaires). Pour ce qui est des défis majeurs dans le cadre de ce travail, on peut énumérer l'adhésion à la convention concernant la restitution des biens culturels volés ou illicitement exportés (convention UNIDROIT) ; l'élaboration des textes complémentaires pour une opérationnalisation de la loi N°97-022 du 30Juin1997 portant sur la protection, la conservation et la mise en valeur du Patrimoine Culturel.

Par ailleurs, il y a la volonté politique notamment sur le retour des biens culturels qui nécessite l'engagement des plus hautes autorités et un budget conséquent. Mais, il faut aussi relever l'insuffisance de cadres en gestion du patrimoine culturel notamment dans les spécialités de restauration d'œuvres d'art patrimoniales, de critique d'art, etc. ; l'insuffisance de synergie entre les ministères à caractère culturel (MT/A, MES/RI, MC, MEN), l'agence de Modernisation des villes du Niger et les ministères en charge de la défense, de la protection de l'environnement et de la sécurité.

Comment les pratiques traditionnelles et les savoir-faire artisanaux peuvent-ils contribuer au développement durable des régions ?

La Convention de 2003 pour la sauvegarde du Patrimoine Culturel Immatériel (PCI) le définit comme les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire –ainsi que les instruments, artefacts, et espaces culturels qui leur sont associés – que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Ainsi, le PCI contribue au développement durable d'une région à travers trois (3) dimensions : premièrement, au niveau de la dimension sociale, relativement aux pratiques traditionnelles, elles entretiennent et reproduisent les liens qui unissent les membres d'une société tout en renforçant la solidarité du groupe. Elles sont l'occasion de convoquer la communauté locale et de la rendre visible tout en améliorant la conscience de la collectivité. Elles sont un point de rencontre où, en plus de renforcer la cohésion sociale, on peut échanger des opinions, des ressources, et même créer des liens entre les personnes et leurs activités. Les rassemblements populaires sont une forme d'appropriation festive d'un lieu communal. Ils renforcent la participation active de la population locale et génèrent un débat sur leur propre développement.

Relativement aux techniques artisanales traditionnelles, pouvoir vivre et travailler au même endroit donne aux personnes ayant choisi ce style de vie la possibilité de s'épanouir et d'élargir leur liberté individuelle. Cette condition développe parmi la population artisane un sentiment d'appartenance et crée les conditions nécessaires pour l'établissement sur le territoire de familles pouvant se consacrer à cette activité. La transmission de ces techniques crée un lien entre les différentes générations qui y travaillent, elle forme les jeunes générations et elle leur offre la possibilité de gagner leur vie.

Deuxièmement, en ce qui concerne la dimension environnementale, relativement aux pratiques traditionnelles, elles sont fortement et visiblement identifiées avec l'environnement qui les accueille parce qu'elles favorisent la prise de conscience collective d'appartenance au milieu. Certaines foires et fêtes sont centrées sur un certain élément du patrimoine naturel. Conserver l'environnement est important pour pouvoir maintenir ces fêtes, foires et rassemblements.

Aussi, les facteurs culturels d'un lieu concret marquent le rapport de la population avec l'environnement. Vu qu'il s'agit de formes d'organisation de la population locale, toute décision s'accorde avec la réalité qui leur est propre. Une communauté d'irrigants est un exemple d'organisation paysanne visant à faire un usage collectif durable de l'eau dans le but que les générations futures puissent en jouir.

Relativement aux techniques artisanales traditionnelles et, en règle générale les techniques artisanales emploient la matière première locale. D'habitude, il s'agit de productions à petite échelle, et, de ce fait, elles sont respectueuses avec la capacité de charge d'extraction des ressources. Le fait de vouloir obtenir ces matières premières d'une certaine qualité signifie devoir en préserver les habitats. L'accès des générations futures aux ressources est assuré.

Et troisièmement, la dimension économique, relativement aux pratiques traditionnelles, les fêtes et les rassemblements populaires, ainsi que les arts du spectacle, peuvent attirer un tourisme culturel qui activera l'ensemble du secteur des services du territoire. Les foires renforcent la commercialisation des produits locaux parce qu'elles élargissent la portée des produits. Elles renforcent aussi le secteur primaire et secondaire locaux car elles donnent une viabilité économique aux activités des populations. Elles permettent de promouvoir les métiers et les activités traditionnelles et contribuent ainsi à leur viabilité. Le fait qu'il s'agisse d'organisations très locales qui, dans certains cas, gèrent des ressources limitées, permet d'envisager deux types de bénéfices économiques: ceux dérivés de l'utilisation d'une ressource en particulier et ceux que l'on peut obtenir à partir d'activités réalisées autour de cette ressource. Les revenus bénéficieront directement à la population locale. Un exemple est fourni par les marchés locaux qui encouragent la production et le commerce de proximité, évitant le transport et réduisant les intermédiaires, de façon à garder toute la valeur ajoutée sur le territoire.

Relativement aux techniques artisanales traditionnelles et dans le contexte technologique dans lequel nous nous trouvons, l'art de récupérer des métiers traditionnels est ce qui valorise les produits artisanaux. La commercialisation de ce genre de produit peut apporter une source de revenus à la population prête à s'y consacrer. Si les matières premières sont locales, l'artisanat peut garantir la viabilité économique de leur extraction/production et l'assurance de revenus à la population qui s'y emploie, de sorte que toute la valeur ajoutée revient à la population locale.

Interview réalisée par Aichatou Wakasso (ONEP)

Source : www.lesahel.org

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